• LA DIVINE CONNAISSANCE

     

     

     

    Symbole de la connaissance divine, la chouette d’Athéna prend son vol au crépuscule. La connaissance est un mot-valise qui signifie une foule de choses n’ayant entre elles que peu de rapport. Pour apprécier l’étendue de cette diversité, j’ai choisi de vous présenter deux usages courants. Les expressions idiomatiques sont tellement liées à une langue que d’autres langues peinent en rendre compte. Pauvre de moi ! Encore une page qui va être dure à traduire en anglais !
    L’escalier de service
    Les deux significations extrêmes se trouvent dans perdre connaissance et perdre une connaissance. Perdre connaissance c’est tomber dans les pommes. Plus noblement dit, c’est se mettre dans un état où les choses d’ici-bas ne nous concernent pas. L’autre expression n’a rien à voir. Dire de quelqu’un « c’est une connaissance » revient à dire qu’on connaît cette personne. Perdre une connaissance est donc déplorer le décès de quelqu’un… ou bien, plus rarement, oublier quelque chose qu’on savait.
    Une anecdote associe ces deux sens. Une histoire vraie, en tout cas présentée comme telle. Sous la 4e république en France, un homme d’état est mort dans l’exercice de ses fonctions. Des fonctions naturelles, si j’ose dire. Il est mort dans les bras d’une pute. Avant d’entrer dans le bureau du grand homme, le docteur demande au larbin : A-t-il encore sa connaissance ?
    -Non, elle est sortie par l’escalier de service.
    Pour atteindre la vérité, il faut nous défaire de toutes les opinions reçues et reconstruire tout le système de nos connaissances. (René Descartes)
    Le Grand Ailleurs
    Tout connaissance est une co-naissance, écrit Paul Claudel dans son art poétique. La formule est jolie, même si l’étymologie n’y trouve pas son compte. Le philologue n’en a cure. Claudel use ici de la langue des oisons, mon jeu préféré. En fait, l’étymologie officielle est la suivante : du latin cognoscere, connaître. Qui vient du grec gnosis, la Gnose, la connaissance divine. Tiens ? C’est mon sujet, justement. Au hasard d’une étymologie qui n’est pas aussi fausse qu’on dirait.
    Ici nous venons de franchir la porte étroite qui mène à l’autre monde. Le Grand Ailleurs dont parlait mon grand-père. J’ai mis des années à comprendre. Il a fallu que mon benefactor m’ouvre la porte de l’autre monde. J’ai revu mon grand-père, j’ai su aussitôt qu’il ne parlait pas chiffons. J’avais toujours compris le Grand Tailleur.
    La porte étroite est une fente dans l’épaisse muraille qui sépare l’intellect du mystère. D’un côté l’informatique, de l’autre la magie. Il faut que la cloison soit solide. Tout est clair dans l’intellect. Trop clair. La raison est un projo anti-aérien. 20’000 volts. Surpuissante, elle balaie l’espace infini, déchirant le brouillard, ne doutant de rien, perçant la nuit des temps. Elle n’a aucun moyen de savoir le fin mot de l’histoire avant d’y parvenir. Dans ce cas, à quoi nous sert-elle ? Laissons-la aux robots.
    Dans le mystère, l’intellect n’est plus le guide. Il sert dans l’ombre. Je ne parle pas des minuscules mystères dont on fait les polars. Ni des valses-hésitations que dansent les scientifiques. Je parle d’un domaine où la raison se cherche un guide. La vérité devient floue. La quête, évanescente, disparaît des écrans de contrôle. Je parle du fameux « côté gauche » de Carlos Castaneda.
    De même que notre cerveau comporte deux hémisphères, notre corps de rêve ou corps subtil comporte deux zones d’action : le côté droit et le côté gauche, qui correspondent plus ou moins aux hémisphères cérébraux, inversés toutefois. Le côté droit est le tonal, c’est à dire l’intellect, la raison, la mémoire, la vie ordinaire, quasiment tout en fait. Le côté gauche du corps ouvre sur le nagual : l’indicible, l’au-delà, la magie, le Grand Ailleurs.
    Nul ne peut rien vous apprendre d’autre que ce qui repose à demi endormi dans l’aube de votre connaissance. (Khalil Gibran)
    Réalité non-ordinaire
    L’action de ces deux côtés du corps de rêve est perceptible dans notre aura, que le nagual appelle notre luminosité. Quand elle prend la vive couleur du nagual, Castaneda décrit cet état comme la conscience accrue. Elle seule permet de découvrir la réalité non-ordinaire.
    Il existe un point précis dans notre luminosité qu’il appelle « connaissance immédiate ». Pour peu qu’on y place notre point d’assemblage, c’est gagné, nous y sommes. Alors nous savons tout sur tout, sans effort de recherche, sans usage de la mémoire, ni de la réflexion, ni de la déduction, sans raisonnement, instantanément, totalement, avec une clarté aveuglante.
    Le miracle est stupéfiant. Difficile à admettre. Ici s’impose au guerrier le puissant mantra croire sans y croire. L’autre monde ne ressemble à rien. À moins que ce soit le nôtre ? L’autre serait le vrai ? On l’a dit. Quoi qu’il en soit, nul n’y comprend rien. On y croise des gens bizarres. Passe un joli boy scout des légions en déroute Mac Rond quoi qu’il en coûte marche à l’ombre d’un doute en mangeant sur la route un pâté sans la croûte on dirait qu’il écoute l’air d’Ainsi font-elles toutes dans un maillot de foot aux couleurs qui dégouttent : ambre, citron, biroute et du bleu qu’on ajoute histoire d’ajouter. La joute qui s’ajoute a de quoi s’agiter.
    Peu d’êtres humains aiment faire des investigations et chercher la connaissance. Il est plus facile de croire. (Humbatz Men)
    Au delà du sens
    Ficile et diffacile à la fois. L’erreur est juste. Défissile matière, fossile sistraction. Docile doustraction. Suffitile… Il suffit ! Pourquoi tout ce délire ? Mon ami, je peux dire plus de mots inventés que tu peux en noter. Maudits soient les mots dits. Le monde d’outre vie se rit de mon langage. Il n’a pas de forme, il n’a pas de fond, toujours se transforme et sans fin se fond en défunt difforme en œil de typhon infinie limite éclatant silence soleil de ténèbres ombre éblouissante. Cheminons la sente. Gravissons la pente. Nous les éblouis dans les éboulis cherchons la poulie la corde qui lie l’huile utile Ali futile hallali s’allie au lilas à la lie d’Allah honte à qui lira le mal en cela ne sont qu’escarboucle et colifichet cerise confite au top du gâteau gamin qui graffite la tête à Toto.
    Au delà des mots, haut de la démo, ode ou démode le mal des maux.
    Je vous parle d’un lieu qui n’est pas un lieu. Qui n’a pas de lieu. Qui est partout autour de nous. Qu’on ne voit pas, qu’on ne sait pas. Qui nous écoute et qui nous voit. Je parle d’un temps au delà du temps. Éternel instant. Présent insistant. Actuel persistant. Tu m’en diras tant.
    Je vous parle de ce dont on ne peut rien dire. Là plus rien ne pense. Personne n’agit. Nous sommes pensé par d’autres. Par qui sommes-nous agis ? Méfie-toi des récifs conjugués au passif. Tu y perds ton calcif. Ton désir impulsif joue le mythe de Sisyphe à l’ombre des six ifs. Plus rien n’est décisif. Tout se rejoue kif-kif. Toujours le vent dans le pif. Le mort saisit le vif.
    Finir comme au début : cul nu, seul face au but.
    Connaître à loisir tout saisir tout savoir à revivre à revoir dans l’écrin qui scintille l’arcane et la broutille le garçon ou la fille la quille à la vanille le voyage ou la grille le crayon ou la bille où ton regard qui brille envoie ses escarbilles droit sur le pauvre drille que ton feu déshabille.
    Prends cent hommes, tu y trouveras un homme de foi. Prends cent hommes de foi, tu y trouveras un homme de connaissance. (Jallal adDin Rumi)
    Au-delà du non-sens
    La connaissance immédiate est un prodige pour ceux qui ne l’ont pas, une évidence pour ceux qui l’acquièrent. Pour eux cette évidence devient bientôt banale. S’ils ont acquis ce pouvoir après des années de guerre contre leur manque d’impeccabilité, les guerriers comprennent vite ce dont il est question. On ne connaît que ce qu’on aime. Mais s’ils ont reçu ce pouvoir par la grâce de la foudre ou d’un choc électrique, sans s’y attendre, ils n’ont aucune chance de comprendre. Ils ont reçu la science infuse et s’en attribuent les mérites. Ils sont aussitôt des bouddhas idiots. Veuillez vous reporter à cet article.
    Aimer rapproche. Aimer efface la différence qui engendre le rejet. Aimer change celui qui aime et le rend meilleur. On ne peut pas aimer sans connaître. La divine connaissance fait de l’éveillé un pôle d’amour rayonnant. La science infuse fait de nous des singes arrogants. Tout le bénéfice de l’éveil se change en super handicap…
    Comment fonctionne cette connaissance immédiate ? Comme tout le reste : c’est une position du point d’assemblage. Quand il s’y cale précisément, on sait tout sur tout sans effort, sans délai. Un herboriste passe des années à se familiariser avec les simples et autres plantes qui guérissent. Étudier ces remèdes est une tâche ardue, qui demande d’être actualisée selon l’environnement où on se trouve. Quand on change de latitude ou de longitude, les plantes sont différentes. L’herboriste doit aborder un nouveau chapitre dont l’étude peut se révéler longue et difficile.
    Les chamans herborisent eux aussi. Mais peu d’entre eux ont besoin d’étudier. Ils se servent de la connaissance immédiate. Voyons comment ça se passe concrètement. Si le chaman est un voyant, il a la chance de percevoir les auras. Cette connaissance immédiate lui suffit pour guérir. Il voit l’aura de la blessure ou de la maladie, il lui suffit alors de repérer dans l’environnement naturel une plante ou un minéral qui possède la même aura. Alors il l’applique sur la maladie ou la blessure.
    Il en va de même pour tous les domaines du savoir. Quand on a la chance de percevoir l’invisible, les choses visibles perdent leur mystère. L’étude devient inutile. Il suffit d’ouvrir tout grand son troisième œil.
    L’ignorance n’est point le manque de savoir, mais le manque de connaissance de soi ; sans connaissance de soi il n’est point d’intelligence. (Jiddu Krishnamurti)
    Le verdict de l’inconnaissable
    Divine ou pas, immédiate ou pas, la connaissance humaine se heurte nécessairement à un mur, le mur de l’inconnaissable, jusqu’ici infranchissable. L’inconnu est séduisant, fascinant même. Il incite le chercheur à consacré toute sa vie et toute son énergie à le déflorer, comme un skieur laisse sa trace sur un mur de poudreuse. Grisante sensation. Rien n’égale la bouffée de sur-oxygène qui fait bouillir le sang dans les artères, qui régénère celui qui la vénère. Trop pas vénère, du coup.
    Il est des choses connues et des choses inconnues, entre les deux s’ouvrent les portes de la perception. (Aldous Huxley)
    Inconnaissable ? Si jamais vous le croisez, circulez, y a rien à voir. « Tant que tu habites ce corps de matière, tu n’es pas habilité à en connaître. C’est comme ça, c’est la règle. Détends-toi, rigole !
    -C’est quoi cette putain de règle du jeu ?? Tu trouves que ça ressemble à un jeu ? Merde, à la fin, y a la mort, bordel ! La mort !!! Pas de quoi se fendre la gueule. »
    Si ta recherche te galvanise, si chaque jour t’apporte son lot de synchronicités, si tu progresses à pas de géant, si tu te sens porté sur les ailes d’une angelle, alors c’est l’inconnu que tu traques. Continue. La piste est bonne, elle peut te mener loin. Aussi loin que le centre de toi-même où tout est calme et sérénité. Peut-être plus loin encore ? L’inconnu te donne de l’énergie, l’inconnaissable te prend ton énergie, sa quête sera toujours infructueuse, si tu t’entêtes il te tuera. Tu as raison garçon. C’est tout sauf un jeu. Mais on a le droit d’y jouer quand même.

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